Pourquoi les théories du complot sont-elles si répandues durant la pandémie de COVID-19?

Sejla Rizvic

12.08.2020

La désinformation concernant l’origine, la propagation et le traitement du nouveau coronavirus s’est répandue comme une traînée de poudre dans les médias sociaux, et ce, dès les premiers jours de la pandémie. Un sondage réalisé en avril auprès de plus de 2 000 personnes indiquait qu’un Canadien sur cinq croyait que le gouvernement chinois avait créé le nouveau coronavirus en laboratoire, et que près d’une personne sur dix croyait que la pandémie n’était qu’un prétexte à Bill Gates pour implanter des micropuces aux gens. Bien sûr, aucune de ces affirmations n’est fondée, mais leur popularité a néanmoins explosé en ligne, notamment en raison de publications dans les médias sociaux accumulant d’innombrables mentions « J’aime » et partages.

Au début de la pandémie, avant que nous ayons accès à une abondance de recherches fiables et bien communiquées sur le virus, la circulation de la désinformation en ligne pouvait en quelque sorte être compréhensible. Or, les mois ont passé, les données et les recommandations de la santé publique se sont éclaircies, mais la désinformation, elle, continue tout de même de sévir. Cette situation soulève la question : pourquoi les théories du complot sont-elles toujours aussi populaires?

Mené par des chercheurs au moyen du Moniteur COVID-19 de Vox Pop Labs, le sondage d’avril dernier révèle que certains facteurs sont associés au fait de croire ou non aux théories du complot, en particulier, et de façon très importante, l’endroit où les répondant·e·s tendent à obtenir leur information. Les Canadiens qui recherchent leur information sur la COVID-19 dans les médias sociaux comme Facebook, Twitter, YouTube et Reddit sont plus susceptibles de croire aux conspirations que celles et ceux qui ne vont jamais sur de tels sites pour obtenir de l’information. Contrairement aux publications de nouvelles réputées, l’information partagée dans les médias sociaux n’est pas nécessairement fiable ni vérifiée, ce qui entraîne de la confusion pour les lecteur·trice·s et un risque accru de croire la désinformation.

Une étude publiée dans la revue Psychological Science met en lumière comment les médias sociaux façonnent nos croyances en créant un environnement numérique où le nombre élevé de mentions « J’aime » et de partages d’une publication détourne l’attention des gens, leur faisant oublier de vérifier l’exactitude même de ladite source. Lorsqu’une publication est très populaire en ligne, les lecteur·rice·s sont plus susceptibles de prendre pour acquis que le contenu est vrai, même s’il comporte de fausses informations.

La façon dont nos fils d’actualité sont configurés peut aussi jouer contre nous. L’étude indique en outre que puisque les fils d’actualité des médias sociaux présentent à la fois des publications qui requièrent une pensée critique pour en déterminer la véracité (comme les théories complotistes associées à la COVID-19) et du contenu ne nécessitant pas de réflexion particulière (par exemple, les photos de vacances de nos amis), « les utilisateur·trice·s sont amené·e·s à abaisser leur vigilance quant à l’exactitude du contenu » lorsqu’elles et ils sont en ligne.

S’ajoutent au problème des médias sociaux les agissements de politiciens comme Donald Trump, qui utilise les plateformes numériques à des fins politiques dangereuses. Trump a utilisé Twitter pour répandre des idées racistes entourant le coronavirus, y référant comme le « virus chinois », et ce, même si les Asio-américain·e·s subissaient de la discrimination, particulièrement aux premiers jours de la pandémie. Lorsqu’ont eu lieu les manifestations Black Lives Matter partout au pays, le président a utilisé sa plateforme pour cibler et démoniser les manisfestant·e·s. Plus récemment encore, Trump a publié sur Twitter une vidéo affirmant, sans preuve à ce jour, que l’hydroxychloroquine pouvait guérir la COVID-19.

Ces gazouillis ont un effet direct sur les partisan·e·s du président. Une étude de la Harvard Kennedy School Misinformation Review révèle que la base partisane de Trump considère le message du président sur le coronavirus comme une sorte de modèle de diffusion de l’information « de haut en bas ». « Trump a initialement banalisé la COVID-19 et les personnes qui se tournaient vers lui pour des conseils ont emboîté le pas de façon plus marquée que celles qui ne s’y fiaient pas », indique l’étude.

La politisation des recommandations de la santé publique, par exemple, le port du masque, a radicalement augmenté la désinformation aux États-Unis et, dans une moindre mesure, au Canada. Les divergences claires entre deux autorités distinctes – soit ce que disent le président et ses allié·e·s et ce que les expert·e·s en santé publique du monde entier affirment – rendent extrêmement difficile la discrimination entre la vraie et la fausse l’information. Les États-Unis – qui comptent actuellement le plus grand nombre de cas de COVID-19 que tout autre pays au monde – sont un exemple probant de ce qui se produit lorsque les théories du complot circulent sans entrave, s’immisçant dans les décisions politiques au niveau national.

Or, tout espoir n’est pas perdu. De nombreuses organisations luttent contre la désinformation relative à la COVID-19 en ligne par la vérification des faits, notamment Snopes, Politifact, le New York Times, le Washington Post et The Walrus. Par ailleurs, des experts affirment que des stratégies peuvent être adoptées par les médias sociaux pour réduire la propagation de la désinformation en ligne, par exemple en « incitant » les utilisateur·trice·s à vérifier la fiabilité des sources de la publication avant de partager.

Certains sites de médias sociaux comme Facebook et Twitter ont choisi d’ajouter des avertissements quant à l’exactitude de l’information pour certaines publications associées à la pandémie. Néanmoins, de nombreuses critiques soutiennent que ces efforts sont insuffisants puisque la désinformation demeure sur les plateformes, parfois même après avoir été déboulonnée par des groupes de vérification des faits.

À court terme, les perspectives de diminution de la désinformation en ligne sont malheureusement peu prometteuses. En présence d’un président américain lui-même personnellement signalé par Twitter pour avoir partagé de la fausse information à ses 84 millions d’abonné·e·s, les véritables solutions pour lutter contre la désinformation devront être bien plus vastes et ratisser beaucoup plus large que ce que nous avons vu jusqu’à présent. Alors que le nombre de cas de COVID-19 ne cesse d’augmenter dans le monde, trouver des moyens pour contrer ce fléau est littéralement une question de vie ou de mort.

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